Sa famille est originaire du bord de la mer où diverses pèches se pratiquent de façon ancestrale. Son père Flavien l’initie à toutes les formes de pèche à pied (je le serai moi aussi).
Mais Henri préfère la pèche à la ligne, au lancer lourd, en mer ou depuis le bord de la mer. On y est seul, immobile, on attend dans un cadre naturel, on espère, et surtout on y rêve tranquillement sans être dérangé, car le poisson a généralement le bon gout de bien rarement mordre furieusement.
On y pèche alors du congre, de l’anguille, de la raie pastenague, et surtout le maigre. Le maigre vient du Portugal en été, par bancs. C’est un poisson de fond qui ressemble au bar, mais bien plus gros. On peut le pêcher alors assez facilement depuis le port ou la jetée de l’embarcadère des bateaux qui font alors la navette entre le continent et l’ile d’Oléron. Il n’y a pas encore de pont. Il est très courant de prendre des maigres de 0.5 kg à 2 kg, depuis le bord de la côte, à une profondeur de quelques mètres seulement.
Il prendra pourtant un maigre de 5kg depuis le bout de cet embarcadère. Ce sera un exploit inégalé localement. Sa remontée sur 8 mètres de haut, à la verticale, grâce à ma petite balance à crevette en sera un autre, plus modeste mais indispensable. Un peu plus tard dans la saison, un autre point culminant sera la prise d’un congre de 6 kg depuis le port de La Pointe, juste à côté. Très heureux, il fera, à chaque fois, à toute la famille locale, la distribution de tronçons de ces 2 prises remarquables, généreusement et fièrement.

Il fera partie aussi d’une petite équipe de passionnés dont un ostréiculteur local, Mr Bec, qui emmenait parfois toute l’équipe en mer, pêcher au lancer lourd. J’en faisais partie, moi aussi. On y fera parfois des pêches miraculeuses de plusieurs centaines de maigres (319 le maximum), et autant le lendemain au même endroit. De quoi calmer l’ardeur des plus passionnés, car, dans notre entourage, personne ne voulait plus accepter le don de ces excellents poissons. Trop c’est trop… Aujourd’hui on gère et respecte les ressources naturelles, mais pas encore à l’époque.



Sa belle famille Chauvin vit près des marais d’eau douce, dans les terres. Il y pratique aussi localement la pèche locale, à la ligne : tanches, gardons, perches arc en ciel, et carpes en eaux plus profondes. Là surtout, bien plus qu’en bord de mer, on est vraiment seul au bord de l’eau, avec le chant lancinant de l’alouette invisible, haute dans le ciel. La lointaine cloche de l’église de St Sornin vous avertit qu’il est midi. Encore la tranquillité paisible et surtout le rêve, seul. Il n’y a aucune présence humaine visible à perte de vue, sur plusieurs km.

De gauche à droite : Denis Papin, René Massé, Gisèle, Eugénie Chauvin, le maigras de 5 kg pèché par Henri, vers 1951/52

A l’époque ce marais est assez différent de son aspect actuel. Il n’y a nulle part de lentilles d’eau, comme maintenant, car les engrais chimiques, les nitrates n’existent pas aussi massivement que maintenant. La surface de l’eau de tous les fossés est donc libre partout. On voit donc parfaitement les poissons évoluer dans une eau bien transparente. Les bords des fossés sont régulièrement entretenus par les propriétaires : les arbustes sont régulièrement coupés et les « rouches », ces herbes aquatiques qui poussent dans la masse de l’eau, sont régulièrement coupées (on disait alors éroucher). Il n’y a pas encore de ragondins ni de cigognes. On y voit souvent des canards sauvages, parfois des hérons et des tortues d’eau, la cistude. Il n’y a pas de route goudronnée en ligne centrale du marais, comme aujourd’hui. C’est de la terre damée et herbue. Il n’y a donc que très rarement des véhicules. Il n’y a pas non plus de touristes, ou bien rarement.

Mamie qui accompagnait Papi à l'étang de Nieulle à la pêche à la truite. 1981











Quand il pêche ou peint, Henri est très silencieux.
Lui parler, c’est l’arracher à son rêve, cela se voit bien, et cela lui est désagréable, il ne se plaint pas, mais il n’alimente pas la conversation, afin de pouvoir reprendre bien vite le cours de ses pensées.