
Henri est ingénieux, très manuel dans tous les domaines.
Pendant la guerre, simple pompier, sa motivation artistique est alors également financière, dans le domaine de la bijouterie fantaisie. La solde d’un pompier est très modeste et Gisèle ne travaille pas. Il est marié, avec un enfant. Il réalise donc des pendentifs, boucles d’oreilles, etc. avec les matériaux qu’il peut trouver alors : métal, rhodoïd qu’il décore par pyrogravure et peinture. Il se trouve alors des représentants en bijouterie qui ont un petit réseau de clients et qui cherchent aussi des artistes pour la production. On ne disait pas alors travailler « au noir », mais on le pratiquait déjà.
Il se fait déjà exploiter alors. Il en résulte tout de même un aspect positif : le bec de pyrogravure est chauffé par un fil résistant de nickel chrome qui rougit au passage du courant électrique de 12 volts. Ce fil est enroulé autour du corps du bec de pyrogravure. Il a alors l’idée de dérouler ce fil et d’utiliser son pouvoir coupant par fonte ou combustion sur de nombreux matériaux : bois, plastiques.
Le fil du nouvel appareil fait 1 ou 2 dixièmes de mm de diamètre.
Ce fil a de 10 à 20 cm de long, selon les modèles d’appareil, et est parcouru par un courant alternatif de 12 volts. Il est chauffé au rouge par effet Joule et permet donc de découper en suivant n’importe quel tracé très sinueux sur le matériau, chose absolument impossible avec une scie. Il laisse un passage extrêmement fin entre les pièces ainsi découpées : 1 ou 2 dixièmes de mm. Aucune scie ne peut le faire, aucune.
Personne n’y avait songé avant.
Le filicoupeur est né. Il prend un brevet national et européen. Il crée un logo en forme de main humaine.
Le filicoupeur peut couper le bois et tous les matériaux fusibles ou combustibles: feutre, carton, papier, plastiques (tous), polystyrène, polyuréthane, etc.
Il peut également pyrograver dans ces mêmes matériaux. Enfin il peut couper et sculpter très rapidement dans de très fortes épaisseurs de polystyrène (1 mètre…)
Henri lance progressivement en fabrication et vente toute une famille d’appareils : voir ci-dessus.
Il fait le concours Lépine, une seule fois, où il gagne un prix très bien placé, vers 1950.
La production en série de cet appareil est incompatible avec son travail à la SNCF. Il imagine pourtant un grand destin national à cet appareil mais sa famille le décourage d’entreprendre seul sa fabrication. Lui-même ne s’en voit pas l’envergure (c’est pourtant ce qu’il fera mais beaucoup plus tard…)
Mr « F. » et lui s’entendent donc alors pour fabriquer le filicoupeur à Cannes, dans les ateliers de F. Henri touchera un droit d’auteur pour chaque appareil fabriqué et vendu par F. A l’époque F et sa méthode d’enseignement scolaire sont très réputés sur toute la France. F est à Cannes. Henri est très flatté d’être si bien reçu, à chaque déplacement à Cannes, par un tel personnage. Ce grand pédagogue national a pourtant une autre spécialité où il est également très compétent : l’escroquerie des droits d’auteur. Henri mettra bien longtemps à le comprendre : des années. Blessé il ne cherchera pas à négocier et retirera brutalement le droit de fabriquer au si grand Mr F, par la voie de son avocat.
Puis il cherchera un autre fabricant, selon la même association d’intérêts car il travaille alors toujours à la SNCF. Il le trouvera en la personne du frère d’un collègue de travail, à Maison Alfort. Le collègue SNCF, Paul « N. », fabrique les transformateurs électriques, son frère cadet fabrique le reste de l’appareil. Henri assure la démonstration gratuite et la recherche des clients. Après quelques années, le frère N fera pourtant comme F, en vendant directement des appareils en cachette. Henri cassera encore brutalement le contrat de la même façon, après des années de détournement.
Sa principale motivation à produire et vendre cet appareil, est essentiellement la promotion de son idée à lui. Cet appareil est un peu son enfant. C’est donc surtout un besoin de reconnaissance personnelle dont il a besoin. Ce n’est que très accessoirement un moyen de gagner de l’argent (contrairement à sa femme qui, elle, ne voit QUE cela). Ses interlocuteurs s’en rendront tous compte, assez rapidement, et le flatteront tous afin de pouvoir mieux l’escroquer. Toujours dans son rêve, il finira pourtant par s'en rendre compte, mais toujours trop tardivement.
Henri fera pourtant preuve d’ouverture d’esprit sur les enfants en animant bénévolement un cours de bricolage le vendredi soir, pendant bien des années, dans les locaux de l’école publique de Fontenay aux Roses. Je m’y trouvais encore, juste avant l’entrée en 6ème . L’école fournissait à Henri gratuitement les locaux et les matériaux : bois, colle, petits appareils divers. Henri mettait gracieusement à disposition des filicoupeurs collectifs, imprimait sur le bois les sujets à découper, aidait chaque élève à apprendre à se servir du filicoupeur (il y a un petit tour de main à acquérir), aidait au collage des sujets découpés, puis à leur mise en peinture finale. Très gros succès. La salle était toujours pleine (environ 20 à 25 enfants), il fallait toujours refuser du monde.
Ci-contre le stand du Filicoupeur, avec un élève du cours de filicoupage, lors d’une exposition à Paris. Peut-être le concourt Lépine au Vel d’hiv….
le stand du Filicoupeur, avec un élève du cours de filicoupage, lors du salon de l’équipement Scolaire en 1955 à la Porte de Versailles
Les produits finis étaient ensuite donnés aux auteurs, mais à la fin de l’année scolaire, à l’occasion des festivités scolaires correspondantes. L’école en tirait évidemment un bénéfice psychologique mais aussi politique.
Parfois des élèves venaient aussi voir Henri chez nous pour des petits compléments auxquels Henri se prêtait très volontiers. Henri en retira le plaisir d’une reconnaissance unanime de la part des enseignants et des parents d’élèves.
Les élèves avaient de 8 à 12 ans, environ. Il n’y avait évidemment que des garçons, malgré la proximité immédiate de l’école de fille. Il n’y avait aucun mélange à l’époque. Henri fit tout cela sans aucune contrepartie financière, seulement pour le plaisir de la chose.
Ce cours de filicoupage eut lieu pendant la période où le si grand pédagogue national Mr F assurait encore la fabrication du filicoupeur. Il y eut donc très probablement un lien entre ces 2 activités d’Henri.
Puis vient l’âge de la retraite SNCF : 55 ans.
Cette fois il décide enfin d’assumer lui-même la production de l’appareil dans le sous-sol de son pavillon de Savigny/Orge, où il a installé un grand atelier, de ses mains : béton, plâtre, électricité, lumière, etc. Son collègue SNCF, Paul N., toujours fidèle à Henri, continue de fabriquer les transformateurs électriques. Henri assure toujours la démonstration gratuite en particulier au BHV (il y est quand les bombes éclatent dans le public). Il prend d’autres brevets pour des extensions de son appareil. Il touche enfin des revenus plus substantiels mais il y passe beaucoup de temps.
Sa femme l’aide souvent, nous aussi parfois, le week-end, quand il y a trop de commandes à fabriquer rapidement. Malgré les ambitions de son ménage, ses revenus sont bien plus importants qu’avant, mais bien inférieurs aux possibilités du marché national. Le manque d’ambition, la crainte de retomber encore une fois sur un escroc, surtout la peur d’investir de l’argent dans des moules, outillages spéciaux, l’embauche de salariés, bloqueront ses revenus au niveau de ce qu’il peut fabriquer avec ses seules mains, dans sa cave. L’entreprise restera familiale au sens d’un seul couple qui fabrique, donc bien trop petite par rapport aux dimensions nationales du marché potentiel.
Il est donc très rapidement copié par des grosses sociétés (dont Lefranc) qui ont bien vu le marché potentiel et en tirent des bénéfices vraiment industriels, eux. Il prend encore un avocat, lance des procès contre les contrefacteurs, les gagne toujours mais perd beaucoup de temps dans ces démarches. Temps qu’il ne peut plus consacrer à sa fabrication familiale, donc il perd aussi le bénéfice d’une partie de sa propre production, déjà trop faible pour lutter contre celle de ces géants... Il y a une limite à cette sorte de compromis, et, donc, les plagiats continuent.
Quand il a environ 65 ans, il vend son affaire afin de pouvoir se retirer totalement en Charente Mme dans la maison ancestrale, comme ses parents l’on fait, 20 ans avant.
La première vente à un tiers est ratée, il y perd même de l’argent. La seconde vente est réussie, mais à un prix très en dessous de ce qu’il espérait. Henri est pourtant payé, mais le repreneur ne fabriquera finalement jamais le filicoupeur. L’appareil Massé tombera donc dans l’oubli, sauf pour les contrefacteurs qui le produiront désormais impunément. Le premier brevet était naturellement tombé dans le domaine public, mais pas les suivants.
Henri souffrira très probablement de cette fin mais le montrera bien peu. Quand il le fera, rarement, devant Gisèle et devant nous, il n’aura aucune consolation mais, bien au contraire, des récriminations très acides de Gisèle sur l’argent perdu par sa naïveté. Sauf à être masochiste, et Henri ne l’est pas, on apprend bien vite à éviter certains sujets.
Aujourd’hui encore, bien longtemps après la mort d’Henri, on trouve des articles sur le filicoupeur sur internet, sur Google par exemple.










